Pourquoi la disparition d’Angel Nieto est un événement majeur

La légende du pilote espagnol dépassait largement les frontières de son pays, de même que celles de la moto et du sport en général. Devenu grand grâce aux petites cylindrées, Angel Nieto était en fait immense…

Au cœur de cet été 2017, l’Espagne pleure le départ d’une idole. Qu’on ne s’y trompe pas, cela n’a rien à voir avec le transfert de Neymar au PSG. Le jour même où le footballeur brésilien annonçait à ses coéquipiers son départ du FC Barcelone, le club catalan s’est fendu d’un tweet déplorant une grande perte pour le monde du sport en la personne d’Angel Nieto, pourtant lié… à Madrid.

Du tennisman Rafael Nadal au cycliste Alberto Contador, en passant par le pilote de Formule 1 Fernando Alonso, la nageuse Mireia Belmonte ou le basketteur Pau Gasol, les sportifs espagnols rendaient un hommage unanime et attristé au légendaire pilote moto, décédé à l’âge de 70 ans ce 3 août, des suites d’un accident de la route sur l’île d’Ibiza quelques jours plus tôt. La Maison du Roi d’Espagne elle-même a salué la mémoire de l’immense champion qu’était Angel Nieto, dès la fin des années 60. « Il était l’un des rares sportifs espagnols à émerger du monde d’après-guerre verrouillé par la dictature franquiste », écrit notre confrère américain Julian Ryder, qui compare la renommée de Nieto à l’époque à celle du torero El Cordobes. A chacun de ses faits d’armes, Angel n’échappait pas aux félicitations de Franco, lequel « savait à peine de quoi il était champion », relève Le Monde dans l’article qu’il a consacré à la disparition du champion espagnol. Malgré la fièvre Neymar, les médias français n’ont pas non plus fait l’impasse sur l’accident fatal au légendaire pilote espagnol, des plus sérieux aux plus légers… jusqu’à Pure People, qui n’a pas manqué de relever que l’actrice et top Model Elsa Pataky, compagne de Chris Hemsworth, était effondrée.

L'égal d'Agostini et de Rossi 

Si la dimension d’Angel Nieto traversait donc les sports, les époques et les frontières, c’est évidemment dans la monde de la moto qu’elle était la plus immense. Premier pilote espagnol à être devenu champion du monde en Grands Prix, Angel Nieto se classe second dans la hiérarchie du sport moto au niveau des titres mondiaux, derrière l’intouchable Giacomo Agostini, qui ne manquait jamais de s'afficher à ses côtés dans les multiples événements consacrés au sport moto. De sa première couronne décrochée en 1969 au guidon d’une Derbi au dernier acquis 15 ans plus tard avec une Garelli, c’est avec un total de 6 titres en 50 cm3 et 7 en 125 que le superstitieux pilote espagnol (l’addition faisait «12+1» selon lui) achèvera sa carrière riche de 90 victoires en Grands Prix. Seuls les non moins légendaires Italiens Agostini et Valentino Rossi ont fait mieux… 

Lorsque ce dernier sera sur le point d’égaler le score de Nieto, en 2008, il prendra soin de s’assurer de la présence d’Angel, afin de célébrer ensemble cette marque emblématique. Signe du destin, c’est sur le circuit du Mans, où Nieto signa sa 90e et dernière victoire en 1986, que Rossi assura la sienne avant d’entamer un tour d’honneur avec le champion espagnol. Valentino a rendu hommage à celui qui fut une véritable star à l'époque où courait son père Graziano : "Je ne l'ai jamais vu courir en vrai parce que j'étais encore petit quand il a arrêté, mais ce qu'il m'a transmis le plus c'est son charisme, sa sympathie, sa façon de faire les choses. Ángel a été l'un des premiers pilotes modernes, peut-être l'un de ceux qui ont fait devenir la moto aussi célèbre en Espagne. Il était ami du roi, bel homme, il a fait venir la télé…" 

Il est cependant un record que le natif de Zamora, dans le sud-ouest de l’Espagne, détient seul et ne partage pas avec les idoles italiennes, c’est celui du nombre de marques avec lesquelles il a triomphé. Derbi, Kreidler, Bultaco, Minarelli, Garelli, soit pas moins de cinq constructeurs, dont deux espagnols ! Tous spécialistes des petites cylindrées, où excellait Nieto et son physique de jockey. Ce qui ne l’a pas empêché de remporter des titres nationaux en 250, 500 et même 750 cm3.

Prophète en son pays

Si le rayonnement international de l’étoile Nieto est incontestable, Angel fut également prophète en son pays. Son héritage y est aussi immense que l’empreinte qu’il a laissée dans le sport moto espagnol, qui brille aujourd’hui au firmament des Grands Prix. Il n’est pas un champion espagnol, d’Alex Crivillé à Marc Marquez en passant par Jorge Lorenzo, qui ne lui ait rendu hommage ces derniers jours. Les deux derniers nommés, qui se sont partagé les cinq derniers titres en catégorie-reine, savent bien ce qu’ils doivent à la dynamique qu’a commencé à insuffler leur illustre aîné dans le pays il y a près d’un demi-siècle. Lorenzo et Marquez, secondés par Pedrosa et talonnés aujourd’hui par Vinales, illustrent bien la domination qu’exerce de nos jours l’incroyable filière espagnole sur le monde de la vitesse moto. Emilio Alzamora, l’homme qui a « révélé » Marquez, n’a-t-il pas obtenu lui-même son unique titre mondial (125 cm3 en 1999) sous la direction d’Angel Nieto ?

La famille Nieto elle-même a continué d’officier en Grands Prix, avec Angel Jr et Pablo, les fils du champion, et son neveu Fonsi. Quant à Angel, devenu commentateur de courses à la télévision espagnole, il avait opéré selon Le Monde un retour aux origines, en ouvrant fin 2014 « un centre d’inspection technique de véhicules, tapissé de photos de pilotes, dans le quartier de Vallecas près de Madrid, où il avait lui-même travaillé dans un atelier de réparation de motos dès l’âge de 12 ans. »

Lors d’une interview récente au magazine espagnol As, Nieto confiait avoir remporté plus de la moitié de ses 90 succès dans le dernier tour, parce qu’il lui fallait « du bazar ». Après tant de tours à frôler les limites sur piste, Angel Nieto est parti trop tôt, victime d’un accident de la route au guidon d’un quad, comme Nicky Hayden à vélo en mai dernier, Norifumi Abe en scooter il y a dix ans, ou Mike Hailwood au volant de sa voiture en 1981. Le sort des anges est parfois étrange…