Moto : Le jour où les filles ont remis les pendules à l’heure

Le même dimanche, la pilote espagnole Ana Carrasco remportait une épreuve de Mondial au nez et à la barbe des jeunes loups du Supersport 300 et la jeune allemande Lucy Glöckner résistait à Sébastien Gimbert pour un podium au Bol d’Or. La moto n’est pas un sport réservé aux exploits masculins.

« Le jour où une gonzesse roule plus vite que moi, j’arrête la moto ! » m’a lancé l’un de mes coéquipiers lors d’un Bol d’Or. Dès le lendemain, il regrettait amèrement sa tirade machiste, relégué à deux dixièmes du chrono de Nina Prinz, émérite pilote allemande engagée dans un team Qatari pour cette épreuve du mondial d’Endurance. Comme partout, le chemin de la parité reste long. Pourtant, le sport moto ferait presque figure d’exemple, quand certains joueurs de tennis déplorent que les primes des tournois soient équivalentes entre hommes et femmes, ou quand les ligues de handball ou de golf veulent imposer leur tenue aux joueuses.

Mise au pas dès le plus jeune âge

Ces dernières années, les mâles pilotes ont appris à tourner sept fois leur langue dans leur bouche avant de fanfaronner. Il existe certes des courses et des championnats réservés aux femmes, mais la moto est un sport mixte, et mérite de l’être.

S’il existe des championnats féminins promus au plus haut niveau comme en motocross mondial (où s’est illustrée la française Livia Lancelot) ou des épreuves comme la Woman’s Cup, qui avait fait le plein d’engagées avec 80 inscrites en ouverture des dernières 24 Heures du Mans, les femmes parviennent à rivaliser avec les hommes dans de nombreuses disciplines, qu’il s’agisse de courses de vitesse ou de tout-terrain. La 9e place au général de l'Espagnole Laïa Sanz lors du Dakar 2015 et les performances de la Française Ludivine Puy en enduro ont muselé bon nombre de tenants de l’infériorité physique des femmes au guidon ou du fameux « instinct de préservation ». En vitesse, on a peu de risques d’entendre la jeune génération des pilotes français promettre d’arrêter au moindre résultat « derrière une fille ». Les uns ont eu maille à partir avec Ornella Ongaro, qui a occupé un temps la tête du championnat de France 125, les autres comme le jeune prodige français Fabio Quartararo se sont frottés à Maria Herrera, qui a de son côté lutté pour le titre dans le très relevé championnat espagnol de vitesse Moto3. En rallye routier, Barbara Collet a « oublié » la presque totalité de ses adversaires masculins lors du Moto Tour 2011, qu’elle a bouclé à la 7e place au général. Mais le 17 septembre dernier, un nouveau pas a été franchi…

L’exploit de Lucy

Dimanche 17 septembre donc. Le Bol d’or touche à sa fin en arrivant au terme de sa 23e heure de course. L’Endurance moto est une discipline extraordinairement exigeante au niveau physique, les trois pilotes engagés sur chaque machine se partageant le guidon d’un engin de 200 chevaux durant deux tours d’horloge. A une demi-heure du terme de la 81e édition de cette course historique qui n’a jamais vu une femme grimper sur le podium, la jeune allemande Lucy Glöckner fait partie de l’équipage de la BMW n°48 qui occupe la 3e place, mais la Honda officielle n°111 est dans le même tour. Sur cette dernière, les trois pilotes sont des ogres du sport moto, tous passés par les Grands Prix. Les Français Sébastien Gimbert et Grégory Leblanc comptent 7 victoires au Bol d’or à eux deux et le Colombien Yonny Hernandez évoluait en MotoGP face à Rossi, Marquez et consorts il y a tout juste deux ans. Dans le box n°3, c’est pourtant la jeune Lucy Glöckner qui attend, casque vissé sur la tête, le dernier ravitaillement de sa BMW pour boucler son premier Bol d’or. Le poids sur les épaules de Lucy est énorme, puisqu’à quelques mètres d’elle, Sébastien Gimbert se prépare lui aussi à prendre le guidon pour lui disputer le podium. Max Neukirchner, l’ancien champion allemand devenu team-manager de la BMW, a confiance en sa pilote, préférée à l’expérimenté Stefan Kerschbaumer, pour l’ultime relais. Les deux pilotes s’élancent, avec une quinzaine de secondes d’avance pour Lucy, mais à un quart d’heure de l’arrivée, Sébastien Gimbert est revenu sur ses talons à raison de plusieurs secondes reprises par tour. L’issue ne fait guère de doute… Mais Lucy trouve les ressources pour rouler à un rythme supérieur à celui de ses propres essais qualificatifs, ce qui lui permet de résister à l’expérimenté Gimbert. Le pilote Honda ne trouve pas l’ouverture et les précieuses minutes s’écoulent. Lucy est incisive dans les dépassements, nombreux à ce moment de la course car la plupart des positions sont figées et les pilotes ne cherchent plus qu’à rallier l’arrivée. Lucy est survoltée, et dépasse même la Yamaha GMT 94 qui s’apprête à remporter l’épreuve, avec la Honda rouge de Sébastien collée à son pneu arrière. Lorsqu’à trois minutes de l’arrivée, ce dernier trouve la faille et prend le meilleur sur la pilote de 27 ans, les jeux semblent faits. Pourtant Lucy s’accroche et profite de la puissance de sa BMW pour redoubler la Honda dans la longue ligne droite du circuit Paul Ricard, virant en tête à quelques virages de l’arrivée. Mais il reste un groupe de pilotes reste à doubler avant de passer la ligne d’arrivée. Lucy choisit la trajectoire intérieure mais se fait involontairement bloquer par une autre moto… pilotée par trois femmes, ironie de l’histoire. Gimbert passe à l’extérieur et sauve le podium. Lucy rallie l’arrivée en quatrième position, en héroïne d’une fin de course époustouflante

Première mondiale pour Ana

Quelques heures avant ce formidable combat, sur le circuit de Portimao, dans le sud du Portugal, une autre femme venait de rentrer dans l’histoire du sport moto en remportant pour la première fois une course de championnat du monde, au nez et à la barbe d’une meute de jeunes loups. Engagée dans la nouvelle catégorie Supersport 300 organisée dans le cadre du mondial Superbike, Ana Carrasco n’était jusqu’ici jamais parvenue à faire mieux que 7e. Elle n’est pourtant pas une nouvelle venue, puisque la jeune femme originaire de Murcie a été la première à marquer des points en championnat d’Espagne 125, puis Moto3, et elle a évolué en Grands Prix, où sa meilleure place est une 8e position obtenue sur le circuit de Valence en 2013. En 2015, elle est rejointe en GP Moto3 par l’une de ses compatriotes émérites, Maria Herrera, dont nous avons évoqué les performances plus haut. Herrera évolue toujours en Grands Prix, où elle a égalé le record de points de Carrasco (9 sur une saison), mais cette dernière, 20 ans tout juste en 2017, a bifurqué vers le Supersport 300, et s’est élancée de la première ligne pour cette 7e épreuve de la saison au Portugal. Onze tours plus tard, elle s’imposait face à l’Italien Coppola et à trois pilotes espagnols, qui terminent tous dans la même seconde. Ana Carrasco grimpe donc sur la plus haute marche d’un podium mondial, une première pour une femme dans une course mixte de vitesse moto. Un grand pas a été franchi depuis l’époque où l’Allemande Katja Poensgen avait fait sensation en marquant deux points lors du Grand Prix d’Italie 250 cm3 en 2001.

A quand une femme en MotoGP ?

La prochaine étape sera de voir une femme évoluer en MotoGP, le panthéon de la course moto. On n’en est pas si loin, même si d’aucuns avanceront encore l’argument physique. Argument vite balayé quand on sait l’état dans lesquels certains pilotes parviennent à piloter, avec une clavicule brisée la veille ou un tibia fracassé trois semaines plus tôt. Une jeune pilote américaine, Elena Myers, a été invitée à prendre le guidon de la Suzuki GSV-R de MotoGP en 2011, en récompense de ses excellents résultats en championnat US de vitesse. Elena était d’ailleurs entrée dans l’histoire du sport moto américain en devenant la première femme à s’imposer lors d’une course sur route de l’AMA Pro, grâce à sa victoire en Supersport à l’Infineon Raceway de Sonoma, en Californie. Un peu plus tard cette même année, c’était au tour de sa compatriote Melissa Paris, également brillante dans le championnat américain de vitesse, de prendre le guidon de la M1 de MotoGP du Team Tech3. Melissa a depuis franchi plusieurs fois l’atlantique pour participer aux 24 Heures du Mans, notamment, au sein d’un équipage 100 % féminin.

Pour l’anecdote, on notera qu’une femme compte déjà plusieurs saisons en catégorie-reine et même des victoires en Grands Prix 125 et 250 à son palmarès, mais cela a été accompli à une époque où la Canadienne Michelle Duff se prénommait encore Mike…