Que retenir du Tourist Trophy 2017 ?

Le duel attendu entre Ian Hutchinson et Michael Dunlop a été aussi intense que cette 108e édition du Tourist Trophy, très marquante à de nombreux égards, et hélas de nouveau endeuillée.

Nos premières pensées sont naturellement pour les trois pilotes disparus lors de cette édition 2017 : l’Anglais Davey Lambert à la suite d’un accident lors de la course Superbike ; le Néerlandais Jochem Van den Hoek au troisième tour de la course Superstock et l’Irlandais Alan Bonner lors des essais du Senior TT.

Les risques font partie intégrante du Tourist Trophy depuis ses débuts en 1907 et ceux qui s’y engagent le font dans un but aussi noble et sportif que ceux qui tentent l’ascension de l’Everest ou un tour du monde à la voile en solitaire. Comme en haute montagne ou en haute mer, le danger est omniprésent sur le parcours de l’Ile de Man avalé à plus de 200 km/h de moyenne… Personne ne se voile la face sur place, pas plus les organisateurs que les pilotes, triés sur le volet à l’issue d’une sélection draconnienne. Cela n’empêche pas les drames, et le 108e Tourist Trophy a eu son lot de mauvaises nouvelles.

Deux favoris à la hauteur

Très loin de certains médias qui n’exploitent que ces infos tout en les dénonçant en creux, la chaîne Motorsport.tv a accordé, du 1er au 11 juin, une retransmission quotidienne des essais et des courses, que j’ai eu l’immense bonheur de commenter, entre autres. Douze compte-rendus journaliers d’une heure sur le TT et sur une chaîne française, cela méritait d’être signalé, d’autant plus que les programmes ont été considérablement perturbés par une météo particulièrement capricieuse cette année en mer d’Irlande, décalant essais et courses (la 2e épreuve Supersport a même été annulée) et générant un surplus de stress chez les concurrents. On n’envoie pas inconsciemment des hommes au guidon de monstres de plus de 200 chevaux sur des routes détrempées, même si des tâches d’humidité subsistaient dans les sous-bois lors de plusieurs épreuves. Ce qui explique notamment pourquoi le record du tour établi l’an passé par Michael Dunlop n’a pas été battu, puisque personne n’a bouclé les 60 kilomètres plus vite qu’en 16 minutes, 53 secondes et 929 millièmes, soit plus de 215 km/h de moyenne. Le même Michael Dunlop a cependant ajouté deux victoires à son palmarès, tout comme son rival annoncé, Ian Hutchinson. Le premier passé sur Suzuki, le second resté sur BMW, tous deux ont désormais dépassé le légendaire Mike Hailwood, 14 victoires, pour se classer respectivement 4e et 5e au palmarès des succès au Tourist Trophy. Devant les 16 victoires de Ian Hutchinson et les 15 de Michael Dunlop, il ne reste l’oncle de ce dernier, le regretté Joey, au firmament avec 26 unités, devant deux pilotes encore en activité : John McGuinness (23), blessé pour cette édition en raison d’une vilaine chute à la North West 200, et le side-cariste Dave Molyneux (17), qui n’a pu inscrire qu’un maigre podium à son formidable palmarès cette année. Hutchy aurait pu rejoindre ce dernier au palmarès s’il n’avait chuté lors de l’ultime épreuve du TT 2017, le Senior TT, se brisant le fémur alors qu’il menait la course d’un souffle devant la révélation de cette année, le redoutable Peter Hickman, comme lui au guidon d’une BMW.

Les outsiders « poussent »

S’il n’a donc pas plus gagné que les autres outsiders , « Hicky » a néanmoins marqué les esprits, ne serait-ce qu’en grimpant sur le podium à chaque fois qu’il a pris le départ d’une course. Ayant découvert l’Ile de Man il y a seulement trois ans après des dizaines de tours de l’île en voiture pour se mettre les 264 virages en tête, le double vainqueur en titre du redoutable GP de Macao n’a fait aucun complexe face aux ténors du TT, signant 5 podiums en 5 courses et raflant au passage le trophée Joey Dunlop récompensant la consistance sur l’ensemble de la semaine. Nul ne peut dire si la pression qu’il a collée à Hutchinson lors du Senior TT a poussé ce dernier à la faute, mais on peut prédire sans trop se tromper que Hickman ne devrait pas tarder à inscrire son nom sur les prestigieuses tablettes des vainqueurs de l’épreuve. Tablettes où figurent déjà les autres outsiders en forme de cette édition 2017, James Hillier (voir son incroyable rattrapage ici) et Dean Harrison avec une victoire chacun en Lightweight, mais aussi les autres vainqueurs des courses que n‘ont pas remportées Hutchinson et Dunlop : Michael Rutter, qui inscrit une 5e victoire à son palmarès avec son succès au guidon de la Paton en Lighweight, 19 ans après sa première victoire ; Bruce Anstey, qui porte son compteur à 12 succès à l’âge de 48 ans grâce à la Mugen Honda électrique qui lui a permis de remporter le TT Zero ; enfin les frères Birchall, Ben et Tom, qui ont survolé les débats en side-car, pulvérisant au passage le record du tour, et ajoutant deux succès aux quatre qu’ils comptaient déjà.

Suzuki renaît, Honda renâcle

Du côté des constructeurs, BMW n’a pas réalisé le carton plein de l’an passé dans les grosses cylindrées, même si le scénario semblait se reproduire au début de la semaine avec les victoires de Hutchinson en Superbike et Superstock, la marque allemande plaçant même quatre machines aux quatre premières places dans cette dernière catégorie. Mais Michael Dunlop est parvenu à arracher la victoire au Senior TT, validant au passage le formidable potentiel de la nouvelle GSX-R 1000 de Suzuki, qui n’avait plus gagné depuis Cameron Donald en 2008. Yamaha s’est contenté de la victoire de Dunlop au guidon d’une 600 d’ancienne génération, alors que Hutchinson, victorieux des quatre dernières épreuves dans la catégorie, se heurtait au manque de développement de la nouvelle R6 sur cette épreuve spécifique. Du côté de Kawasaki, on doit se contenter de savoir que c’est un twin de la marque qui motorise la Paton victorieuse de Michael Rutter en Lightweight, mais c’est tout de même un revers quand on sait que les ER-6 constituent l’écrasante majorité du plateau (49 sur 61) d’une catégorie que l’on pourrait penser créée pour ce modèle en 2012. Pour la première fois, la victoire a donc échappé aux verts, mais la plus grosse déception est sans doute dans le camp du quatrième constructeur japonais, qui a historiquement fait de l’Ile de Man une terre de conquêtes. Honda est la seule marque à compter plus de 250 victoires au Tourist Trophy, et les deux légendes absolues du TT, Joey Dunlop et John McGuinness, ont remporté leurs titres de gloire avec des machines du HRC. En recrutant Guy Martin pour épauler ce dernier cette année, Honda ajoutait la médiatisation à la performance, et promettait d’offrir les meilleures conditions au charismatique Guy Martin pour décrocher enfin sa première victoire au TT. Mais la mécanique s’est grippée avant même l’épreuve, McGuinness se fracturant jambe et côtes aux essais de l’épreuve précédente en raison d’un problème technique. Puis ce fut au tour de Guy Martin de se tirer miraculeusement d’une grosse chute dans le premier tour de la première course du TT 2017… à cause d’un faux point mort au rétrogradage ! Le doute s’était installé au sein du team le plus prestigieux, et Guy n’allait pas reprendre le guidon de sa Fireblade pourtant revue de fond en comble cette année. Il a bien tenté de décrocher sa première victoire avec la Mugen Honda, au-dessus du lot dans une catégorie électrique n’alignant que huit machines au départ (pour la première fois, toutes ont réussi à boucler les 60 kilomètres du seul tour de course, soit dit en passant). Las, c’est son coéquipier néo-zélandais Anstey qui l’a privé de cette maigre consolation, Mister Martin se contentant d’ajouter un frustrant 17e podium à son palmarès sur l’île… On retrouve également un moteur Honda sous le capot du side LCR des frères Birchall, mais ce n’est évidemment pas assez pour le premier constructeur mondial…

French addiction

Dans cette même catégorie side-car, la délégation française a fait très fort, Maxime Vasseur associé au pilote mannois Karl Bennett décrochant une splendide 5e place lors de la seconde course, après une 9e place dans la première. Deux places derrière, lors de cette première course, on retrouvait le duo tricolore 100 % féminin composé d’Estelle Leblond aux commandes et Mélanie Farnier à ses côtés. Non contentes d’avoir réalisé la meilleure performance féminine de l’histoire de l’épreuve sur un tour, les filles tenaient une formidable 6e place en seconde course après leur 11e position dans la première, lorsque leur side SGR devait s’arrêter en raison d’un problème de pompe à essence dans le dernier tour. Au-delà de la colère et de la frustration, c’est tout le clan français qui félicitait ces habituées de l’épreuve. Autre habitué, Fabrice Miguet disputait son 17e Tourist Trophy, ce qui ne l’a pas empêché d’aller à la faute (sans conséquence heureusement) dans la course Superstock. Détenteur du record tricolore sur un tour jusqu’à la dernière épreuve, il s’en est fait déposséder par Xavier Denis, son coéquipier au sein du team Optimark, qui a établi une nouvelle référence en bouclant le tour de l’Ile à plus de 196 km/h de moyenne, améliorant de trois secondes le score du Mig… Beau joueur, celui-ci a loué les qualités de Xavier, mais aussi de Julien Toniutti, le multiple champion de France des rallyes venu se frotter avec brio au as de la course sur route pour la deuxième année consécutive. Autre Français engagé, Timothée Monot connaît mieux l’épreuve et a fait très fort lors de la course Lightweight, parvenant à accrocher une belle 12e place, juste devant Xavier Denis, deux secondes derrière. Son engagement au TT Zero au guidon d’une Lito Sora lui aurait sans doute permis d’obtenir un meilleur classement (avec moins de dix engagés, c’était automatique…), mais le proto électrique n’était pas prêt.

Demain, c’est loin

Malgré la volonté des organisateurs de permettre aux technologies dites d’avenir de concourir, et malgré les performances affichées par les machines sifflantes qui bouclent le tour plus vite que les side-cars, l’île de Man et ses chats sans queue n’est pas encore prête pour le monde moderne. Ce bout de terre, qui a accueilli le premier parlement de l’histoire de l’humanité et qui résiste à la pression fiscale internationale autant qu’à la tutelle anglaise, entend continuer à faire courir des pilotes entre arbres et maisons à des vitesses déraisonnables. Peut-être précisément parce que ce n’est pas raisonnable.